samedi 31 octobre 2015

L'ILE DE JAMAIS JAMAIS

Les voyages de Jean Sans Terre II
De Javier de Susi


On retrouve ici Vasco, le héros nonchalant et désabusé des voyages de Jean Sans Terre. On l’avait laissé sur les terres du Chiappas (cf. La pipe de Marcos). Il poursuit sa quête sur les traces de son ami Jean. Ici, il est encore question de Révolution, mais plus précisément des Contras, mouvement financé par les Etats-Unis pour s’opposer au mouvement sandiniste, d’inspiration marxiste, qui a pris le pouvoir au Nicaragua en 1979. Javier de Susi fait à nouveau le choix de traiter d’une histoire qui a été effacée de la mémoire collective par l’indifférence des médias.

Vasco se rend sur l’île d’Omepete située sur le lac Nicaragua. Il y fait la connaissance d’un groupe de jeunes gens réfugiés dans la jungle, d’une communauté vivant dans une grande maison, d’un écrivain en manque d’inspiration et d’un gourou dirigeant un orphelinat. Les références littéraires et cinématographiques s’accumulent à commencer par J. M. Barrie, Peter Pan, les enfants perdus et le capitaine Crochet, sans jamais alourdir le propos.

Paola, une des amies de Vasco, dit dans les premières pages du livre que « Nous sommes ce que nous racontons que nous sommes. » A travers le parcours de Vasco, il s’agit donc ici de l’histoire de chacun. Les personnages racontent tous leur propre histoire, qui est aussi celle d’un peuple, d’un pays, d’un continent. Vasco lui refuse de se raconter. Il est l’antihéros qui deviendra malgré lui celui qui change la permanence des choses.

Conte philosophique, le dessin en noir et blanc de Javier de Susi traduit aussi à merveille les différents niveaux du récit. On y trouve des ruptures de ton qui n’existaient pas dans le premier tome. Notamment quand il s’agit d’illustrer le propos des enfants rencontrés par Vasco, le dessin devient beaucoup plus enfantin. La forme épouse au mieux la narration.


Dans cet ouvrage très convaincant, l’auteur poursuit ce qu’il avait entamé dans le premier tome, une geste politique et poétique à travers les endroits oubliés de l’Amérique latine. Vasco, son personnage principal, est plus que jamais l’héritier du grand Corto Maltese. Et toutes ces références assumées, donne à lire un roman graphique d’une grande qualité.

Fiche technique
Scénario et dessin : Javier de Susi
Editeur : Rackham

jeudi 22 octobre 2015

POINT DE FUITE

de Lucia Biagi


Sabrina est une jeune italienne de 26 ans au caractère bien trempé, elle vit chez ses parents dans une petite ville de province, mais passe le plus clair de son temps chez son petit ami, Stefano. Mal à l'aise dans son corps et dans sa vie, elle exprime parfois violemment son mal-être et se heurte à sa famille et à son entourage. Confrontée comme tous les Italiens de sa génération à une terrible crise économique, elle affronte également une crise existentielle. Au seuil de l'indépendance et du monde adulte, elle ne se sent pas en mesure de faire face à ces changements. Début décembre, une grossesse imprévue vient bouleverser sa vie déjà passablement mouvementée. Elle décide d'avorter mais le rendez-vous à la clinique est fixé au mois de janvier, du fait des fêtes de fin d'année...


L’italienne Lucia Biagi livre ici un récit tout en finesse. Loin de porter un quelconque jugement sur les contradictions de son héroïne, elle aborde le thème de l’avortement à travers un récit intimiste et nuancé. Perturbée -comment ne pas l’être quand un tel événement vous tombe dessus- Sabrina doit composer avec le chaos psychologique qui s’empare d’elle.

L’auteur choisit les tons jaunes et bleus –la bichromie- et un trait simple et direct pour transcender une histoire finalement assez banale. A la manière des mangas, les décors sont vite croqués et les personnages rapidement reconnaissables. Dans l’Italie d’aujourd’hui, et pour une génération touchée de plein fouet par le chômage et la précarité, Lucia Biagi aborde la problématique de son personnage sans tabou, en affirmant clairement la liberté du choix d’avorter, sans pour autant esquiver la difficulté de s’y confronter.


Lucia Biagi ausculte le parcours de Sabrina sans jamais prendre parti. Dans un entretien à Télérama paru le 2 juillet 2015, elle affirme que « l’avortement a souvent été abordé, en Italie, d’un point de vue politique ; je souhaitais, de mon côté, mettre en scène le choix d’une personne spécifique. Je n’ai pas voulu expliciter pourquoi Sabrina souhaite avorter de façon si déterminée, parce je pense que ce choix lui appartient, et qu’il ne doit en aucun cas être questionné. »


Deuxième opus d’une jeune auteur, c’est la chronique d’une jeunesse désenchantée qui ne croit plus aux grands idéaux mais qui tente malgré tout, jour après jour de gagner une liberté difficile à conquérir.


Fiche technique
Scénario et dessin : Lucia Biagi
Editeur : Ça et là
160 pages

mercredi 14 octobre 2015

LA DAME DE DAMAS

De Jean-Pierre Filiu et Cyrille Pomès



C’est le récit d’un amour impossible entre Karim et Fatima dans une banlieue de Damas pendant la révolution qui a débuté en 2011. Karim et sa famille sont engagés contre Bachar Al-Assad, Fatima a dû unir son destin à celui du régime. Ils vont pourtant se retrouver en cet été 2013 où « la mort blanche » frappe la capitale syrienne…



Après l’ouvrage « Le printemps des arabes », Jean-Pierre Filiu, scénariste et historien et Cyrille Pomès, dessinateur, nous font revivre, à travers ce Roméo et Juliette du Moyen-Orient, le destin de ces hommes et femmes ordinaires qui subirent –et subissent encore- la barbarie au quotidien. Ici, il s’agit de raconter les débuts de la révolution syrienne, et la sanglante répression qui a conduit le dictateur syrien à employer des armes chimiques contre son peuple.


Filiu emprunte les voies de la fiction et réussit le tour de force de rendre compte de la complexité de la situation, qu’il s’agisse de la chronologie des évènements ou des forces en présence (…), tout en racontant une histoire d’amour sous les bombes. Le réquisitoire contre le régime est sans pitié, loin des clichés véhiculés parfois dans certains médias. Et on comprend mieux ici comment la résistance a pu s’organiser, notamment dans les mosquées. Et comment certains démocrates ont pu progressivement se rapprocher de la religion. Le contexte international est aussi très bien relaté et notamment le rôle de l’ONU, qui jamais ne prendra de position claire en faveur des opposants au tyran.


Pomès fait le choix du sépia pour restituer l’ambiance des rues et des intérieurs de Damas. Le dessin est enlevé, très rythmé, et colle à l’urgence du récit. Les visages expressifs rendent bien compte de la violence des sentiments éprouvés par les différents personnages. Sans trop s’embarrasser de lourds décors, il excelle à esquisser un environnement ou une atmosphère pour en dégager l’essentiel.

Ce roman graphique est essentiel à lire. Pour tous ceux qui s’intéressent à la situation dramatique que vit la Syrie depuis quelques années. Et aussi pour ceux qui ne la connaissent pas. C’est sans conteste une des découvertes majeures de cette année 2015.


Fiche technique
Scénario : Jean-Pierre Filiu
Dessins : Cyrille Pomès
Editeur : Futuropolis
104 pages






mercredi 7 octobre 2015

Conquistador

Cycle 1 et Cycle 2
de  Jean Dufaux et Xavier Philippe

Nous sommes au seizième siècle. Depuis leur débarquement au Mexique, Hernan Cortes et son armée sont considérés comme des divinités par l’empereur aztèque Moctezuma. Cela fait bien longtemps que Cortes œuvre davantage pour son compte que pour la lointaine Espagne… Tandis qu’il part combattre une expédition envoyée par son propre roi pour le rappeler à l’ordre, Cortes missionne un groupe hétéroclite, mêlant soldats et mercenaires, afin de voler l’inestimable trésor de Moctezuma. Parmi eux, le loyal soldat Hernando Royo… Le groupe d’aventuriers sera bientôt décimé par une mystérieuse entité, dieu ou démon, qui les poursuit dans la jungle. On ne s’attaque pas impunément aux ancestrales et puissantes légendes aztèques...


Voici le résumé du premier tome… Je ne vous dévoilerai pas davantage la suite de cette histoire. Mais vous devinerez sans difficulté que cette série mêle l’histoire des Conquistadors à un récit fantastique emprunté aux traditions des grandes civilisations d’Amérique latine.



Les personnages sont ici assez convenus. Les membres de la petite expédition sont des archétypes du genre : le héros solitaire au passé traumatisant, la guerrière aussi belle que dangereuse, la brute de service, et le moussaillon de l’équipe… Les décors de la jungle et de Tenochtitlan, capitale des aztèques, sont eux oppressants.  Recyclant ses ingrédients habituels –du sang, de la sensualité et du mysticisme- le scénariste, Jean Dufaux passe à côté de sa recette. On reste cantonné à une course poursuite dans la jungle. Quid de la culture ancestrale des aztèques ?


Chaque tome est bien rythmé, le dessin de Philippe Xavier prenant toute sa dimension que ce soit dans les descriptions architecturales des pyramides indiennes ou dans les profondeurs de la jungle sud américaine. Pourtant, l’adhésion ne se fait pas et on reste spectateur d’un grand show sans vibrations.


Les indiens sont les grands perdants de l’Histoire. Alors qu’ils ont été les victimes de la conquête espagnole, ils sont aussi montrés ici comme des êtres sanguinaires, qui adorent des divinités monstrueuses… On en omettrait presque que les Conquistadors ont exterminé tout un peuple.


Fiche technique
Cycle 1 : Tome 1 & 2
Cycle 2 : Tome 3 & 4
Scénario : Jean Dufaux
Dessin : Philippe Xavier
Couleurs : Jean-Jacques Chagnaud
Collection : Grafica
Editeur : Glénat